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On peut mourir deux fois

L'impact des gouttes sur le métal de la carrosserie de cette voiture résonne dans la nuit épaisse et brumeuse. Un bruit de tôle cinglée par un jet d’eau mais en plus feutré car c’est du sang qui vient éclabousser la portière de cette Ford d’un autre âge !

Du sang sous pression qui s’échappe de la carotide de John, chasseur de sensation et violeur quand l’occasion se présente.

Une heure plus tôt, il attendait patiemment sur ce parking, installé du côté passager dans sa fourgonnette aux vitres teintées.

John n’a pas l’air méchant quand on le croise. Il est poli et presque effacé. Il n’a que peu d’amis. Une rage puissante s’était développée au plus profond de lui, grossissant lentement, devenant de plus en plus forte et n’attendant qu’une bonne occasion pour s’exprimer dans toute son horreur !

Son plan, il l’a souvent répété dans sa tête habitée par un esprit troublé. Il a maintenant une envie irrépressible de commettre un meurtre. C’est devenu une idée fixe, un fantasme provoquant chez lui des décharges violentes de désir !

Il veut trouver cette nuit une proie et la mettre à mort !

Enfoncé dans le fauteuil de son fourgon, il scrute le parking à l’affût du moindre mouvement.

Il s’est placé dans une zone faiblement éclairée et a déjà préparé sa sortie : du côté passager pour ne pas être gêné par le volant, la portière entrouverte et la lumière du plafonnier neutralisée.

Il est prêt et la tension monte ! Chaque ombre aperçue, chaque mouvement dans son champ de vision fait accélérer son pouls, dilate ses pupilles et décuple ses sens.

Il a choisi son arme : un couteau japonais, un Tanto à la lame tranchante comme un rasoir, élégant et sobre et surtout, terriblement efficace pour le corps à corps.

D’un seul coup, il sursaute. Une ombre frêle et titubante vient d’entrer dans son territoire de chasse !

C’est une prostituée, Fiona, jeune et vraisemblablement défoncée, qui sort tout juste d’une petite passe à l’arrière d’une voiture et qui vient de se faire expulser comme un vieux kleenex, avec violence et dégoût après une petite saillie, rapide et ordurière, saupoudrée de grossièretés, de gifles et d’humiliations. Presque “la norme” pour une pute junky.

Ce ne fut pas sa passe la plus difficile. Elle s’en sort bien cette fois-ci. Pas d'hématome sur le visage et le client a payé, c’est le plus important !

Pendant que la berline du bon samaritain qui vient de lui jeter dédaigneusement quelques billets s’éloigne, Fiona tente de reprendre ses esprits dans ce parking mal éclairé. Elle titube un peu et essaie de se reconnecter avec la réalité. Elle a en effet cette faculté de se mettre “hors connexion”, de mettre son cerveau, sa conscience sur “PAUSE” pour mieux endurer sa triste et pitoyable vie de droguée qui n’a que son corps pour gagner de quoi se payer une dose.

Elle s'accroupit en s’adossant à un poteau électrique pour reprendre un peu de force et satisfaire en même temps un petit besoin naturel.

Elle regarde la petite flaque d’urine qui s’étend entre ses pieds où gît mollement, telle une petite méduse échouée, le préservatif encore plein abandonné par son dernier client et qui vient de sortir de son vagin en glissant lentement. Elle s’amuse à penser que, sans cette petite envie, elle l’aurait certainement oublié et conservé bien au chaud jusqu’au matin.

John vient de la repérer. Tous ses sens sont en éveil et la noirceur malfaisante de sa fureur commence à monter en lui, faisant accélérer les battements de son coeur et lui donnant presque un début d’érection.

Il sort sans bruit de son fourgon et s’approche de sa proie, veillant à rester toujours dans son dos.

Une brume épaisse vient envelopper la nuit, rendant l’endroit plus sinistre et glauque.

John redouble de prudence et a beaucoup de peine à contenir cette macabre frénésie qui s’empare de lui.

Il n’est plus qu’à une dizaine de mètres de Fiona qui se relève en remontant sa culotte déchirée. Elle s'agrippe à son poteau pour reprendre encore un peu de force et retrouver ses esprits.

D’un seul coup, elle se sent tirée en arrière avec une force inouïe et tombe sur le dos, de tout son poids, sur le bitume humide.

John vient de la saisir par le col de son petit blouson et la tire avec rage pour l’amener au sol, entre deux voitures, à l’abri des regards.

Fiona, sous la violence du choc, est sonnée, groggy, et ne parvient pas à réaliser ce qui est en train de lui arriver. Elle reste inerte, sans réaction, sans réelle peur.

John se précipite sur sa victime et s’assied sur son torse pour la contrôler. Le manque de résistance de Fiona le décontenance, le déçoit.

Lui, ce qu’il veut, c’est ressentir la peur, c’est sentir l’effroi s’emparer de sa proie, la voir se débattre de toutes ses forces pour survivre, l’entendre le supplier.

MAIS LÀ, RIEN ! UN PUTAIN DE CORPS INERTE !!!

Entre déception et rage, John décide de changer ses plans. Peut-être que la tuer en la regardant dans les yeux, en sentant son dernier souffle s’échapper, en serrant sa gorge lentement  jusqu’à voir la dernière étincelle de vie s’éteindre dans son regard arrivera à combler son désir morbide !

Il lâche son couteau et attrape le cou de Fiona et le serre entre ses mains, jusqu’à entendre sa respiration siffler.

L’asphyxie sort avec brutalité Fiona de son état d’inconscience. Elle réalise avec peine ce qui lui arrive. Son pouls bat dans ses tempes, ses oreilles bourdonnent, sa vue se trouble.

La bouche grande ouverte, elle tente de crier mais aucun son ne sort, pas même un murmure, juste un horrible sifflement.

Ses yeux se révulsent et son corps se met à convulser à  cause du manque d’oxygène.

John, tout attentif à la détresse de sa proie, se délecte: c’est encore mieux que ce qu’il avait pu imaginer !

Les mains de Fiona fouillent le sol autour d’elle. Sa main gauche trouve le Tanto abandonné par le tueur. Dans un sursaut d’énergie, elle s’empare de l’arme et frappe au hasard John toujours penché juste au dessus de son visage.

Elle ressent d’abord une douleur vive. Le choc du coup avait fait glisser sa main sur la lame, lui faisant une profonde entaille dans la paume.

Puis l’étreinte se relâche et un bruit de gargarisme se fait entendre et l’odeur âcre du sang se répand dans l’air, se mêlant à la brume.

Du sang chaud coule abondamment sur son visage, dans ses yeux, rendant sa vision de la scène très brouillée, irréelle.

John, la bouche ouverte, le regard exprimant autant la surprise que la frayeur, se redresse d’un coup et porte ses mains à sa gorge. Fiona vient de lui enfoncer le couteau dans le cou, sectionnant la carotide et ouvrant la trachée.

Le sang sous pression sort de la plaie en un gros jet saccadé, éclaboussant tout autour de lui.

Ses forces l’abandonnent bien vite et il s’effondre dans un râle d’agonie sur Fiona qui perd connaissance.

Quand Fiona revient à elle, la vue brouillée par le sang, elle a froid. Le corps alourdi de John pèse de tout son poids sur elle et l’empêche de respirer normalement.

Elle rassemble ses dernières forces pour se dégager et se relève péniblement, en état de choc. Elle cherche autour d’elle de l’aide, tente d’appeler au secours mais toujours aucun son ne sort de sa bouche.

Elle se dirige en titubant vers la rue qui longe le parking pour stopper une des rares voitures de passage.

Deux rues plus loin, Mike se fait jeter d’un énième bar trouvé sur sa route. Il est complètement ivre mais veut boire encore, boire pour oublier, boire pour ne plus ressentir la douleur du cancer qui le ronge.

Il entre dans sa voiture pour rentrer chez lui. Il démarre et roule tout en fouillant dans sa boîte à gants. Il trouve ce qu’il cherche, une flasque de whisky.

Il n’a pas le temps de voir Fiona qui se précipite sur la route, attirée par les feux de cette providentielle voiture.

Le choc sourd de Fiona sur le pare-choc sort Mike de sa torpeur alcoolisée.

Il s’arrête quelques mètres plus loin et aperçoit dans son rétroviseur le corps sans vie gisant sur la route, les deux jambes brisées et le crâne ouvert.

 

Cette nuit, Fiona sera morte deux fois.

 

Anthony Majerès, le 24/03/2017

Ecrit pour le concours “Prix Court et Noir 2017” de Short Edition :

« L'impact des gouttes sur le métal... »

 

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