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Voici une petite tranche de ma vie, à peine romancée, qui me laissa sur le front un signe bien visible de ma douloureuse rencontre avec une poutre en chêne massif !

Gueule cassée

 

Dans la soirée flottait une douce promesse
De moments délicieux, de plaisirs, de tendresse.
Vêtu seulement d'une roideur triomphante
Je pénétrais en trombe, l'échine vibrante,
Dans le sanctuaire de nos érotiques jeux,
La poitrine fière, le membre vigoureux.
Hypnotisé par ce qui s'offrait à mes yeux,
Le corps de ma Bien-Aimée, tellement précieux,
Je ne vis pas dans mon sillage cet obstacle
Que, chanceux, tous les jours, j'esquive par miracle,
Ce bout de charpente tendu là comme un piège
Qui se rendit presque invisible, en fin stratège
Et m'asséna un redoutable coup au front
Comme pour réparer je ne sais quel affront !
Le choc violent ne parvint pas à m'estourbir
Et dans un sursaut d'orgueil, je dus réagir:
A moi la garde ! Qui sur moi lève la main ?
Qui m'attaque ? Qui sont ces voyous, ces vauriens ?
Prêt à en découdre avec mon lâche agresseur,
Je fis quelques moulinets de mes poings rageurs.
Mais nul adversaire courageux à affronter,
Seule cette poutre en chêne à fustiger !
Et voyant tout danger maintenant écarté,
Je repris mon affaire trop tôt arrêtée.
J'entrepris alors un rapprochement des corps
Sans même vérifier mes blessures, quel tort !
Est-ce donc du sang qui coule de votre plaie ?
Remarqua ma promise un peu effarouchée.
Et fichtre ! Foutre ! Diantre ! Bigre !Sacrebleu !
Et moi qui pensais n'avoir qu'une bosse, un bleu !
Me voilà meurtri dans ma chair, assassiné !
Il fut présomptueux de ma part de l'ignorer.
Bien décidé à soigner le mal par le mal,
Je me saisis d'un tampon d'alcool médical.
D'une main ferme, précise, à peine hésitante,
Je préférais une médecine violente
Aux douceurs ouatées d'une lotion apaisante
Consistant en une vive friction brûlante
Sur l'endroit où, déjà, un très bel oeuf naissait.
Ma Moitié, en spectatrice bouleversée
Qui imaginait pour moi les pires souffrances
Et malgré ma sérénité, en apparence,
Eut peine à regarder, le coeur tout retourné,
Et dans son ventre, son estomac tout noué.
Faudra-t-il maintenant que je la réanime ?
Est-ce pour éprouver la vigueur qui m'anime ?
Pour ce faire, je coupai court et l'invitai
A revenir dans l'alcôve pour replonger
Dans la douce chaleur de nos tendres ébats
Où l'Amour s'exprime, belle trêve au combat !
De cet épisode épique et peu romanesque,
Ne restera comme seul souvenir burlesque
Que la narration brève, à peine édulcorée
De ma gueule ébréchée, mais pas gueule cassée.

 

Anthony Majerès, le 15 Juin 2008 (Alexandrins)

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