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Le doigt dans l’oeil

En ce jour de grâce du 22 février 2010, sans angoisse aucune, je me rendais à une consultation chez un gastro-entérologue afin de vérifier la bonne tenue de mon orifice le plus secret.

Inutile de préciser que je n'y allais pas de gaité de coeur mais quelques alertes hémorroïdaires m'ont encouragées dans cette délicate démarche.

Je partis bien en avance, comme à mon habitude, pour prévenir tout problème de trajet et de stationnement. Bien m'en a pris car à quelques mètres du cabinet de mon docteur, un bouchon ralentit fortement ma progression et me fit pester à l'encontre des automobilistes qui avaient l'air d'être à l'origine de ce ralentissement. Je dois préciser que la rue où pratique mon honorable spécialiste des rondelles abîmées et autres soucis gastriques, longe le tribunal de Melun. Et ce jour là, comme par un fait exprès, on devait juger sans doute un membre d'une mafia locale ou encore un Corse pris en flagrant délit de travail, car un gros dispositif de sécurité avait été mis en place, bloquant justement la rue dans laquelle je voulais me rendre !

Pas de panique, je gardais mon calme et décidais de piocher un petit peu dans ma réserve de patiente dont je ne me sépare jamais. Au bout de quelques mètres, alors que toutes les places de stationnement étaient occupées soit par des camions de CRS, soit par des voiture de Police ou encore par des panneaux en interdisant formellement l'usage, j'en trouvais une,comme par magie, libre, étincelante dans cette si belle lumière de ce temps presque printanier !

Ni une , ni deux, ni tout autre nombre d'ailleurs, je décidais de ne pas laisser passer pareille aubaine et entamai une manoeuvre digne de quelqu'un qui maîtrise les créneaux et pris d'assaut  l'emplacement convoité. Fier de mon succès, je sortis de la voiture, le torse gonflé par un triomphe que je voulais laisser éclater. Je me mis sur le champ à la recherche d'un horodateur afin de respecter scrupuleusement les usages en vigueur dans cette rue, surtout dans ce territoire hostile peuplé d'agents des forces de l'ordre, susceptibles et toujours prêts à dégainer leur carnet de contravention. Arrivé devant ce totem dédié au Dieu du Racket (le Trésor Public?), je fus quelque peu intrigué par un petit message en papier, grossièrement fixé sur l'engin par du ruban adhésif : Par arrêté préfectoral, bla bla bla, la rue sera interdite au stationnement jusqu'au 22/02/2010.

Damned ! Palsanmbleu ! Mortecouille ! Me serais-je jeté dans la gueule du loup? Me serais-je ainsi mis dans l'illégalité au nez et à la barbe de tous ces Policiers ? Vite ! Allons questionner un individu tout de bleu vêtu pour clarifier la situation.

Hélas ! On m'affirma avec une petite pointe d'autorité que la rue était interdite aujourd'hui !

Me voyant faire ma manoeuvre, ils auraient quand pu me le dire au lieu de m'observer du coin de l'oeil en affichant un sourire goguenard ! Moi qui pensais que ma prestation les avait étonnés par la précision et la rapidité d'exécution ! Bande de CONS !

Je remontais aussitôt dans ma voiture et, en fin stratège, mis en place mon plan B afin de pouvoir me garer et surtout de ne pas arriver à la bourre.

Malheureusement, mes rares fréquentations de ce quartier me firent ignorer les changements de voirie et je me retrouvais alors embarqué malgré moi dans une petite visite touristique de la ville.

Après deux tours de manège, je pus enfin stationner à un kilomètre du cabinet médical et ce fut en petite foulée que je décidais de couvrir la distance qu'il me fallait parcourir dans un temps plus que réduit; vous savez, la foulée gracieuse et digne du mec qui a l'habitude de courir, sans faire de bruit de respiration (trop vulgaire), sans montrer l'effort sur son visage ! Arrivé au coin de la rue et après un coup d'oeil circulaire et rapide (personne aux alentours ?), je réduisais ma cadence au pas afin de récupérer avant d'entrer dans la salle d'attente et de pouvoir répondre aux questions de la secrétaire médicale sans trahir un quelconque essoufflement par une respiration haletante ou autre filet de bave s'écoulant de ma bouche saturée.

Il fallait me rendre à l'évidence : Il est beaucoup plus fatigant de courir sans montrer l'effort que de courir en acceptant de laisser paraître une bruyante suffocation.

Je passai le test des questions-réponses avec brio, et on me dirigea vers une salle d'attente terne, à la moquette sale qui avait sans doute dû subir tous les outrages, vu la spécialité pratiquée dans cet établissement.

A peine le temps de remplir quelques cases de mes mots fléchés (j'en emporte toujours lorsque je vais consulter : Ça passe tellement plus vite) que déjà on vint me chercher. C'étais le spécialiste en personne, homme âgé mais pas trop, qui inspirait une certaine confiance, indispensable dans ce cas précis où le patient complètement désarmé doit faire fi de toute pudeur et livrer sa plus secrète intimité en pâture au machiavélique praticien!

Mon premier réflexe fut de regarder ses mains, outils de travail précieux, à la recherche du moindre indice physique pouvant démontrer sa profession. En effet, j'ai toujours gardé en mémoire cette image du proctologue complètement cinglé du film Canonball qui, muni d'un majeur hyper-développé, proposait à qui le croisait un petit touché rectal !

Après le petit questionnaire pour établir mon dossier médical et mon profil pathogène durant lequel je précisai fièrement qu'il traitait aussi mon père, le docteur m'emmena dans une salle d'examen et me demanda de me mettre en sous-vêtement et de l'attendre allongé sur le dos sur la table d'auscultation.

Une fois en position, j'attendis le retour de mon bourreau en observant scrupuleusement cette salle équipée de machines, de moniteurs et autres appareils médicaux. Sans doute recherchais-je  les instruments qui allaient me faire subir les supplices les plus ignobles.

Enfin, le médecin revint et commença son diagnostique par des palpations de mon abdomen. Puis, d'un ton laconique, me demande de me mettre à quatre pattes, les fesses bien en l'air, le dos bien cambré et l'oreille collé sur la table, à la façon d'un Apache à l'écoute d'un rail pour savoir si le train arrive, sauf que là, à par le mien, en en verra pas !

Cet ordre est le plus pénible à entendre pour tout homme encore vierge, et c'est avec soumission et regret que j'exécutais cette figure érotique pendant que Samson enfilait une paire de gants en latex !

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô touché rectal ennemi !

N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?

Un grand sentiment de solitude et de pudeur réfrénée s'empara de moi. Mes pensées se bousculèrent dans ma tête : allait-il reconnaître dans l'oeil de mon cyclope un air de famille ? Étais-je attirant vu sous cet angle ?

Etaient-ce là les préliminaires à de fougueux ébats ?

Très vite, la dure réalité me fit retomber sur terre. Il y avait un type derrière moi qui farfouillait dans mon rectum ! Dans d'autres circonstances, il se serait déjà mangé un bourre-pif juste en évoquant la chose !

Dans un moment de crainte, je priai pour que la grosseur que je sentais pénétrer en moi ne fut qu'une phalange et non l'os du poignet du curieux malsain. Mais ce n'était là qu'un petit échauffement car bien vite, il saisit un outils métallique à la forme évocatrice pour pousser sa prospection plus en profondeur.

Et là, je dus me concentrer pour ne pas penser à Germinal et aux mineurs de fond, les gueules noirs, qui creusaient de sombres galeries dans la crainte permanente d'un coup de grisou, d'une rencontre avec une mortelle poche de gaz. Car je ne sus pas par quel processus ou réaction mais une soudaine et irrépressible envie de flatuler s'empara de moi, absorbant toute mon énergie et ma concentration dans sa maîtrise et son reflux, pire qu'une obsession : SURTOUT NE PAS PETER !

D'un ton très naturel, le spéléologue qui était en train de me visiter commentait ce qu'il observait : Rien d'anormal, quelques varicosités sans aucune gravité (même pas de peintures rupestres!).

Il m'invita ensuite à me rhabiller et à le rejoindre dans son bureau.

Ah le goujat ! Il m'a titillé la rondelle et ne m'a même pas fait un petit bisou?

Après les formalités d'usage, je revins soulagé à la maison, heureux que ce moment de souffrance morale soit enfin terminé, ne me laissant comme mauvais souvenir que le vague goût amer de vaseline au fond de la gorge (il a dû aller bien loin le vicelard).

Mais une question pendant tout le trajet me tarauda l'esprit : Le proctologue m'avait-il sondé la rondelle avec une pompe à vélo ? Avait-il découvert un gisement de méthane? En effet, sur la route nul besoin d'autoradio car je fus l'interprète d'un interminable solo d'oliphan, instrument à vent maintenant tombé dans l'oubli.

Anthony Majerès, le 22 février 2010

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